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2002

Court-métrage, 4 minutes
DIFFUSION:  CANAL PLUS, FRANCE 3

RÉSUMÉ: Le 21 septembre 2001, l’explosion de l’usine AZF de Toulouse a fait 31 morts et plus de 2500 blessés. 

Analyse filmique par Rémi Fontanel (Doc en court):

Poème engagé sur la catastrophe de l’usine AZF à Toulouse, le 21 septembre 2001.
Un documentaire, comme une fiction, peut être le reflet de la personnalité artistique de son créateur. Comme auteur, le cinéaste mène son projet selon des intentions particulières : il part d’un désir, développe une méthode, affirme un regard, élabore une posture esthétique, poétique, politique. Dans certains cas, il expose les rapports qu’il entretient lui-même avec son sujet, jusqu’à parfois rendre visibles les coutures de sa démarche et en faire la manifestation de son style. Cette implication peut offrir différents visages ; elle peut se construire et être perçue différemment par les personnes filmées et par le spectateur. Quelles en sont les raisons d’être ? Quelles en sont les formes, la nature et la fonction ?
Jacques Mitsch a dû attendre deux mois avant de réaliser L’usine s’engage. Il lui a fallu ce temps de gestation (de « digestion ») après l’événement AZF.
Il ne voulait pas, il ne pouvait pas s’exprimer immédiatement après le drame. Il lui a fallu laisser passer du temps. Deux heures avant l’explosion, Jacques Mitsch était tout près du site ; l’exposition a eu lieu à 10 h 18, le 21 septembre 2001, dix jours après l’attaque des deux tours américaines en plein cœur de New York. Il raconte que s’il était passé sur les lieux deux heures plus tard, il aurait pu mourir. Jacques Mitsch prend conscience de la chance qu’il a eue et réalise un film pour faire jaillir une angoisse et une colère. Son documentaire qui « vient des tripes » est un pamphlet, un brûlot… un crachat. L’usine s’engage est le film d’un cinéaste engagé, mais aussi d’un citoyen, d’un Toulousain qui connaît bien sa ville, sa population, et qui aura ressenti l’immense nécessité de dénoncer l’aberration d’un système qui a conduit au drame que l’on sait.
En privilégiant le plan fixe, la nature morte, Jacques Mitsch a choisi d’établir un constat ; il fait pour ainsi dire l’état des lieux de l’usine AZF après la catastrophe. Il s’agit d’une mise en cadre, effectuée avec beaucoup d’autorité dans sa composition, le cinéaste désignant le détail signifiant au spectateur. Mitsch pointe l’objectif comme pour montrer du doigt (en termes théoriques, Christian Metz a pu parler à propos de ce type de plans d’une « focalisation non assertive »). Ce geste cinématographique, pour intentionnel qu’il soit, est aux antipodes d’une mise en scène, quand bien même on soupçonnerait çà et là quelques « petits arrangements avec le réel », tant le cadre paraît trop signifiant pour être complètement le fruit du hasard (déplacer un objet de quelques centimètres pour le faire figurer dans le champ permet déjà de parler de mise en scène). Par ailleurs, les hommes en blanc à la toute fin du film n’ont sans doute pas été filmés à l’improviste…
Néanmoins, la mise en scène proprement dite est surtout présente à travers la mise en son. Tout d’abord, la lecture des règlements internes d’usines à risque, en voix over, est jouée par un comédien, avec une diction distanciée, tout en restant sobre. Mais surtout, la mise en scène marque la bande son, par amplification de bruits captés sur place ou par ajout de sons, soit ponctuels, comme le rouge-gorge, soit des sons d’ambiance comme la « rumeur industrielle » (Jacques Mitsch). Quand elle se fond dans le décor, la mise en scène sonore est une arme redoutable par sa discrétion même : fabriquée hors cadre, le spectateur ne la remarque pas comme telle la plupart du temps, mais il en perçoit pleinement les effets.
La direction de l’usine, en interdisant à Jacques Mitsch de prendre du son direct, pensait sans doute se prémunir de toute approche critique. En prenant appui sur la mise en scène sonore, le cinéaste a retourné cette contrainte contre AZF et de la plus cinglante façon qui soit.
L’usine s’engage utilise une voix over complètement anonyme.
« Le commentaire (sic) de ce film, précise l’un des deux cartons du générique de fin, est composé uniquement d’extraits de communications et de règlements internes d’entreprises industrielles à risques. » Avec un tel montage sonore, réalisé à partir d’archives de nature administrative, on est évidemment aux antipodes d’un texte écrit pour « commenter » les plans tournés sur le site de l’usine AZF. Accentué par la diction distanciée de Rémi Gibier qui ouvre à chaque instant les guillemets, comme pour nous rappeler qu’il s’agit d’un texte « lu », d’une citation à caractère documentaire, le caractère sentencieux du discours fait entendre la voix impersonnelle de l’Institution industrielle. Le dispositif d’ensemble du film est ainsi tout entier fondé sur la confrontation de ce discours sécuritaire au désastre qui figure à l’image.

 

FESTIVALS: Doc’en Cours (Lyon), Ciné Garage (Sète), Paris ToutCourt, Séquence (Toulouse), Cinémaginaire (Argelès/Mer), Festival du Court-Métrage d’Altkirch, Festival 11 bouge, Festival Ecofilm, Ciné Lumière (Londres), Tribeca Film Festival (New-York), Festival International du Film Court de Drama (Grèce)
Prix spécial du jury au Festival International du Court-Métrage de Clermont-Ferrand 2003
Prix du jury au Festival Ascompi de Lunel (2003)
Tribeca Film Festival (New York 2003)

 

La Dépêche du midi: Jacques Mitsch zoome sur AZF (cliquez)

 

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